Propriété, troc et commerce
Un sujet capital de la création d’un monde sans argent est celui de la propriété, principalement des possessions matérielles, mais aussi de la propriété intellectuelle (sujet), et non seulement la propriété des personnes physiques, mais aussi celle des personnes morales (sujet). Pour l’instant, l’argent (liquide ou virtuel) est un des biens qu’on peut posséder. Mais il y a aussi les biens immobiliers (terrains, maisons, immeubles), et les biens mobiliers, tous les objets personnels d’usage courant : les meubles, les appareils électroménagers, les habits, les livres, les véhicules (vélo, voiture, bateau, avion), les animaux domestiques, le matériel de travail à domicile, etc. Il y a aussi les objets de valeurs : bijoux, métaux précieux, tableaux et œuvres d’art. Pour les artisans, il y a leur matériel de travail, les machines, les fournitures et les différents stocks (matières premières, produits finis). Pour les commençants, il y a les stocks de produits, qui ne seront plus à vendre mais à donner (sujet : voir comment). Pour les professions libérales, il y a aussi le matériel de travail.
Pour les entreprises constituées en sociétés, toutes les possessions, mobilières et immobilières, intellectuelles (brevets et droits divers) et commerciales (clientèle, structures et campagnes publicitaires) appartiennent aux actionnaires, qui peuvent être des particuliers ou d’autres sociétés.
Dans le système actuel, la gestion de la propriété et son contrôle sont effectués par le système fiscal, basé sur la valeur en argent, estimée de différentes manières, en particulier la valeur marchande et le prix de revient. Les différentes possessions sont taxées d’une manière qui favorise énormément les plus riches au détriment des plus pauvres, et est une des sources majeures des inégalités. Sans argent, ce système de contrôle de la propriété ne sera plus possible. S’il n’est déjà pas facile d’imaginer un monde sans argent, il est très difficile, connaissant l’être humain (sujet) d’imaginer un monde sans contrôle. Le système actuel, s’il a ses défauts et pénalise d’une certaine manière les plus défavorisés, offre néanmoins une grande liberté à la majorité de la population, chacun pouvant s’offrir toutes les possessions qu’il désire s’il parvient à gagner l’argent nécessaire pour les acheter. Ainsi, en France, la plupart des familles possèdent leur logement et une ou deux voitures, et un grand nombre d’entre elles possèdent aussi une résidence secondaire et peut-être un bateau, et souvent aussi des logements ou locaux de rapport et des titres. Les commençants et les petites entreprises sont aussi souvent propriétaires de leurs locaux professionnels, de leurs installations et de leurs stocks.
Le nouveau régime qui va prendre le pouvoir dans un monde sans argent (sujet) sera peut-être très libéral pour ce qui concerne la propriété, ce qui va encore augmenter les inégalités et le pouvoir des plus riches et des grosses entreprises. Par contre, s’il veut réglementer les droits à la propriété, il va devoir instaurer de nouvelles lois liberticides qui risquent d’être très mal accueillies par les personnes et les entreprises concernées. Il pourrait par exemple décider une nationalisation de la propriété immobilière et des entreprises, qui conduirait à une nouvelle forme de régime totalitaire communiste, dont on connaît les limites. Mais un système libéral, qui ne serait qu’une prolongation du système capitaliste actuel, pourrait très bien continuer à fonctionner, car l’argent serait simplement remplacé par d’autres modes de rétribution et de contrôle et par une augmentation de l’usage des privilèges (sujet).
On peut imaginer qu’il sera très vite nécessaire d’instaurer un système de rationnement. Pour l’instant, le prix des produits permet d’équilibrer l’offre et la demande. Les produits rares, comme les produits de luxe, sont chers et sont réservés à une petite clientèle qui a les moyens de les acheter. Les produits de grande consommation sont bon marché et sont distribués en très grandes quantités pour la masse des consommateurs. Dès le moment où tous les produits seront gratuits, la majorité des gens voudront des produits de luxe. Ainsi, la demande pour les voitures de luxe, les vêtements de grands couturiers, les villas sur la Côte d’Azur, les appartements dans les beaux quartiers, les dîners dans les restaurants trois étoiles, les voyages en jets privés, les suites dans les grands hôtels deviendra énorme, mais celle pour les mobylettes, les vêtements en soldes, les HLM des banlieues populaires et les repas dans les cantines, diminueront dans les mêmes proportions.
Si, dans la semaine qui suit le jour J, des millions de gens commandent des Ferrari ou des Rolls Royce, comme ces fabricants auront perdu une grande partie de leur personnel, ils ne pourront plus produire pour satisfaire la demande. Et ils ne donneront pas les véhicules qu’ils ont encore en stock à n’importe qui. Si 50'000 personnes réservent une table dans un grand restaurant qui ne sert que 50 couverts chaque soir, seuls les habitués, ou les fournisseurs de produits alimentaires de qualité qui auront disparu des circuits de distribution, obtiendront leur réservation. C’est là que la notion de privilèges va intervenir. Ceux qui ont des privilèges dans le système actuel ne voudront pas les perdre, et ils formeront probablement des clubs très fermés qui offriront à leurs membres l’accès aux produits devenus rares. Mais même pour les produits courants, pour certains produits alimentaires de qualité un peu supérieure à celle des grandes surfaces, la production ne pourra pas répondre à la demande, et il faudra probablement introduire des tickets de rationnement pour que tout le monde puisse se nourrir.
Et là on n’envisage le problème que sur le plan national d’un pays comme la France, mais si on se rappelle que le Grand Projet est un projet mondial, il faudrait accepter que tous les habitants des pays pauvres désireront aussi avoir un logement décent, une voiture et pouvoir se nourrir à leur faim. Donc, avant de pouvoir partager les produits disponibles de façon la plus équitable possible entre tous les habitants de la France, il faudra s’assurer qu’on les aura aussi partagés équitablement avec le reste du monde. Et il est probable que les quantités qui resteront seront très inférieures à celle dont a l’habitude dans les pays riches. Alors, comment les nouveaux maîtres du monde sans argent gèreront-il ce problème ?
Troc et commerce
Le directeur de Mocica dit que le nouveau système ne sera pas basé sur le troc, car il n’y a jamais eu de société basée sur le troc. Je ne suis pas sûr que cela soit juste. S’il y a eu des sociétés ou des tribus qui vivaient sans argent ou qui vivent toujours sans argent, elle pratiquaient le troc, car le concept du troc fait partie de la nature humaine, on donne quelque chose et on attend quelque chose en retour, il y a un échange de bons procédés. Une des principales caractéristiques du système tribal, dans le Human Design, est justement une forme de troc (bargain en anglais). D’ailleurs, la nature fonctionne comme ça, à part l’homme, justement, qui prend mais ne donne rien en échange au reste de la nature (sujet). Mais les hommes ont toujours fait du troc entre eux, et l’argent est la denrée la plus utilisée pour faire du troc. Tout commerce est une forme de troc. Dès le moment où l’argent ne sera plus admis pour faire du troc, il faudra trouver d’autres denrées d’échange pour continuer à faire du commence. Il y aura bien sûr tous les produits, alimentaires, artisanaux, industriels, tous les services, et aussi justement les privilèges. Un patron qui ne trouvera plus d’employés pour effectuer certains travaux sans les payer, pourra leur offrir une voiture de fonction (à une époque où il ne sera plus possible pour la plupart des gens d‘acquérir des voitures) ou un appartement de fonction dans un beau quartier. C’est pourquoi, avant le jour J, toutes les personnes et les entreprises qui en auront la possibilité vont acquérir de grandes quantités de biens qui leur permettront par la suite de faire du troc. Si les futurs dirigeants du monde veulent empêcher le troc, il faudra, déjà avant et après le jour J, qu’ils puissent instaurer un système totalitaire qui interdise toute forme de commerce et d’échange. Mais est-ce vraiment possible sans enfermer tout le monde dans des prisons ou des camps de concentration, et encore là on n’a jamais pu y empêcher de petits commerces. Mais si le libre commerce est autorité, même sans argent, les défauts de capitalisme n’auront pas disparu. Ce n’est peut-être pas le plus grave, si cela permettra d’autres changements importants, notamment en ce qui concerne le genre de vie, la santé et l’écologie.
10 janvier 2022, Chiang Mai